LES AMIS DE GEORGES
Numéro spécial
Porte des Lilas
12,20 €
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Philippe Lucas
L’OURS ET LES RUSHS
Ou comment Brassens manque de peu de devenir
Brando…
En 57, René Clair écranise
"La grande ceinture", roman de René Fallet auteur fécond
et pote de Brassens... Sur le chantier, Bussières, Brasseur
Père, Vidal et la belle annamite Dany Carrel Enfin, une bleusaille
en cet artisanat : Georges Brassens! Brassens au ciné c'est la grosse
surprise. Surprise pour ses détracteurs résolus à
mépriser "l'Ours vulgaire" Surprise pour ses adorateurs absolus
dont le nombre croît, inlassable... Surprise pour Brassens lui-même
qui n'en revient pas de s’être laissé entraîner dans cette
galère-là. "Mon truc c'est la chanson" ressasse-t-il aux
étourdis qui ne l'auraient pas encore compris. Mais Brassens a la
grogne dans le sang. "Jamais content" semble être sa devise. Derrière
ce masque, autre nom de pudeur, il a l’intérêt prompt et la
passion facile. On le sait, en outre, amateur de bon film et il n'est pas
exclu qu'il ait goûté cette aventure avec certain enthousiasme
savamment caché.
Avec René Clair…
Enfin, Fallet est un pote, statut
sacré chez Brassens encore que chez cézigue les potes s'appellent
plus volontiers des "cons". Fallet le sait, qui est, sans doute, le "con
d'entre les cons", et qui use et abuse de son immunité: "Sois
mon interprète ! J'ai écrit le rôle pour
toi l " De fait le personnage
du roman, " l 'artisse", c'est bien Brassens et notre ami s'inquiète
légitimement qui sait qu'il n'est pas John Wayne et s’écroulera
fatalement sous un rôle trop lourd. Négociations. C'est Brasseur
Père, cabot illustre, qui jouera. Brassens, lui, se fondra dans
le décor assez d'ailleurs à son image et se limitera à
dix répliques et encore pas de celles qui vous bouleversent une
histoire. Et, bien sur, il chantera. Trois chansons sont écrites
pour ce film ou tout du moins arrivent à point pour l'illustrer:
"Le vin", "L'amandier" et "Au bois de mon cœur". Chansons courtes, fines
et profondes, sous leur aspect d'anodin. Elles s'insèrent adroitement
dans l'intrigue sans la saborder. On entend aussi, en valse musette, ces
notes qui plus tard seront vêtues des paroles pertinentes d "'Embrasse-les
tous". Preuve que Brassens aussi peut faire danser les foules... Quant
à la chanson "Les lilas", elle date d'alors et semble un coup de
chapeau amical de son auteur à cette drôle d'aventure. Mais
on ne l'entend pas dans le film. Le tournage de ce mélodrame est
un pur cauchemar pour notre troubadour plantigrade. Il s'accorde avec Clair
mais ne goûte pas le métier d'acteur. Et là, il grogne
pour de vrai! Il jure mais un peu tard qu'on ne l'y prendra plus, Fallet
lui-même pouvant se brosser. Il tiendra parole bien que le film soit
un succès et qu'il ait, lui, la grâce des critiques, ceux-ci
(bien fait pour eux!) ne trouvant décidément rien à
redire sur son jeu sobre et juste... Quant à Fallet il se réjouira
un peu vite. A l'exception du "Paris au mois d'Août" de Granier-Deferre,
ses romans les plus aboutis n'inspireront que des pignoufades.
…pas avec Pagnol…
Quand Pagnol sollicite Brassens
pour être le berger dans son "Lettres de mon moulin" qu'il s'apprête
à tourner, et l'idée n'est pas mauvaise, les deux hommes
en sont quittes pour causer poésie autour d'un pastis... Précisons
toutefois que c'est Pagnol qui renoncera à filmer l'épisode
"Les étoiles" pour lequel il priait Brassens, bornant son ultime
film à trois contes choisis. On ne peut donc résolument dire
que Brassens n'aurait pas cédé. Dommage. Brassens chez
Pagnol et Daudet ! Beau programme.
En 64, Yves Robert boucle "Les
copains" d'après Jules Romains. Il demande une chanson à
Brassens qui ne se récuse pas. Le thème lui est cher. "Les
copains d'abord" dont le triomphe n'est plus à dépeindre,
est présentée dans sa première mouture à Robert
qui en déplore le rythme lent. D'ordinaire, Brassens fait fi de
l'avis des "cons" qui ont ce privilège-là d'écouter
avant tout autre ses derniers refrains. Ici, il ronchonne mais concède
.Et la chanson telle que nous la connaissons doit son rythme à Yves
Robert. Du moins le dit-on.
En 71, Michel Audiard, dialoguiste
fameux, signe un film de son cru : "Le drapeau noir flotte sur la marmite".
Encore une petite perle de Fallet noyée dans la mélasse.
Le film a Gabin à son affiche ce qui est, avec la partition de Brassens,
son seul luxe. Audiard n'est pas cinéaste.
… et toujours les copains
La même année son
vieux "con" Henri Colpi, pour le film "Heureux qui comme Ulysse", mélo
inspiré qui sera la sortie de Fernandel, quête le soutien
de Brassens. Colpi qui composait aussi, la légende veut qu'il ait
raccroché à l'écoute des premières oeuvrettes
de ce "con" de Brassens, Colpi, donc, a écrit quelques vers sur
lesquels Georges Delerue, cet as disparu, a posé musique. C'est
donc une chanson toute faite, qui n'attend de Brassens rien d'autre qu'une
voix et un coeur.Notre sètois grisonnant, l'ayant jugée "pas
trop mal! ",.accepte. Interprétation singulière d'authenticité
et de charme.
Il y a peu le film de Weber
"Le dîner de cons" illustra son générique initial avec "Le
temps ne fait rien l'affaire". Excellente idée. Le film ayant
eu un succès formidable, il n'est pas utopiste d'espérer
que Brassens s'en soit tiré quelques nouveaux amis... Et Weber n'ayant
qu'un seul thème, l'Amitié virile (il écrivit: "l
'emmerdeur", entre autres), il est parfaitement certain que lui et Brassens
se fussent entendus comme dit-on s'entendent les cochons et les larrons
en foire.
Brassens fut un grand bonhomme
de scène, l’heureux auteur-interprète que l’on sait, un poète
familier aux écoliers comme Verlaine ou l’Apollinaire, un. mélodiste
subtil quoique justice ne lui ait point été tout fait
rendue de ce côté ci... mais pas seulement. Il fut aussi un
modeste mais valeureux petit compagnon de la grande histoire du cinéma.
Et mon panard c’est de la lui rendre, cette justice-là.
Philippe Lucas.
Un "con" parmi tant d'autres.
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